DE

Société
Être ou ne pas être

Un différend sur la peine de mort expose les divisions de la société marocaine
Noose

L'enlèvement, le viol et le meurtre d'un garçon de 11 ans à Tanger a déclenché des appels à l'exécution de son auteur. L'enfant, appelé Adnane, a été enlevé près de chez lui en plein jour et son corps a ensuite été enterré dans un parc. Ce crime barbare a suscité un débat national sur la peine capitale, qui a ironiquement coïncidé avec la journée internationale contre la peine de mort, le 10 octobre.

De nombreuses personnes ont eu recours aux médias sociaux pour exprimer leur indignation et demander l'exécution du coupable, âgé de 24 ans. Certains sont allés jusqu'à suggérer que la simple peine de mort n'était pas suffisante, mais que le châtiment devait être infligé publiquement, comme c'est le cas dans des pays comme l'Iran ou l'Arabie Saoudite. Un haut dirigeant religieux a plaidé que les droits de l'homme ne pouvaient pas être appliqués aux criminels et une pétition en ligne réclamant l'application de la peine de mort a rapidement fait son chemin, recueillant plusieurs centaines de milliers de signatures.

Une punition qui n'existe plus

L'exécution de la peine de mort au Maroc est pratiquement suspendue depuis 1993. Même s'il n'y a pas de déclarations officielles à ce sujet, la peine capitale n'a pas été appliquée depuis lors. Cependant, la peine existe toujours dans le droit pénal marocain et est prononcée en moyenne 2 à 3 fois par an. Les juges peuvent condamner à mort des accusés pour un nombre limité de crimes, notamment le terrorisme, le meurtre et la trahison. Dans de tels cas, comme l'explique l'avocat pénal marocain Fadoua Aissam, "les juges ont tendance à choisir la peine maximale afin d'apaiser un public enragé". Ils seraient libres de choisir des peines alternatives, mais ils ne le font généralement pas.

Cela conduit à une situation bizarre. Il y a actuellement environ 75 personnes dans le couloir de la mort, dont certaines ont déjà passé des décennies à attendre une peine, qui pourrait bien ne jamais être exécutée. Comme l'affirme Fadoua Aissam, cela signifie en fait une double peine : une peine de prison à vie combinée à la peur quotidienne de la mort.

Différentes conceptions des droits de l'homme

Des avocats comme Aissam ainsi que des organisations de défense des droits de l'homme font pression depuis des années pour l'abolition de la peine de mort dans la législation marocaine. Ils soulignent que l'idée de base de la loi n'est pas de se venger mais de rétablir l'ordre et de donner au coupable une chance de se réhabiliter. La peine de mort est en contradiction avec ces idées fondamentales, d'autant plus qu'elle n'est pas réversible en cas de mauvais verdict. Dans un premier temps, les opposants à la peine capitale veulent que leur pays signe le moratoire des Nations unies sur la peine de mort, ce qui ferait du Maroc le deuxième pays arabe à le faire après l'Algérie.

Cela souligne toutefois le problème. La peine de mort est une caractéristique commune des codes pénaux arabes, notamment parce que l'idée de vengeance est insinuée dans le Coran (tout comme dans la Bible), avec des passages comme le fameux "une vie pour une vie, œil pour œil". Certains conservateurs et islamistes marocains veulent que ce texte soit interprété littéralement, ce qui les amène à affirmer que la notion de droits de l'homme ne s'applique pas au coupable du meurtre de Tanger.

Le gouvernement marocain a condamné le crime, mais a évité de commenter un jugement particulier qu'il souhaite voir rendu. Cela reflète les divisions au sein de la coalition gouvernementale sur cette question particulière. Alors que les islamistes modérés (PJD) sont favorables à la peine capitale pour les crimes graves, les partis de gauche (PPS et USFP) y sont fondamentalement opposés.

Le moratoire pour toujours ?

Cette division rend toute modification du statu quo peu probable dans un avenir imprévisible. Il est très peu probable que le Maroc procède bientôt à sa première exécution depuis 1993. Cela pourrait nuire considérablement à la réputation du pays en Occident, en particulier en Europe, avec laquelle le Maroc s'efforce actuellement de resserrer ses liens économiques et sociaux. D'autre part, il est également peu probable que le Maroc abolisse la peine capitale dans ses textes juridiques, compte tenu de l'indignation publique actuelle. Les prisonniers dans le couloir de la mort continueront à vivre dans l'incertitude.

Le débat actuel sur la peine de mort montre cependant que la paix sociale au Maroc est fragile. Un camp revendique ses droits humains et citoyens, croit aux principes de l'État de droit et se tourne vers l'Occident (ou dans le cas du Maroc : le Nord) pour trouver des modèles. Ce sont ces personnes, qui sont descendues dans la rue au cours du printemps arabe en 2011 et qui ont été rassurées par les réformes constitutionnelles qui ont suivi. Un autre camp, en revanche, souhaite un État autoritaire basé sur le droit religieux et se tourne vers l'Est (c'est-à-dire les États du Golfe) pour s'orienter. Afin de maintenir la paix sociale, le roi et le gouvernement devront suivre une voie prudente, qui apaise les deux parties. Leur capacité à le faire sera bientôt mise à l'épreuve une nouvelle fois, lorsque la campagne pour les élections législatives de 2021 commencera.

About the Author

Sebastian Vagt
Sebastian Vagt is the Project Director of Friedrich Naumann Foundation for Freedom in Morocco and Algeria. Sebastian holds a diploma in State and Social Sciences from Munich and Stellenbosch, South Africa. In his previous role at the Foundation, he served as a Defence Analyst in our Brussels office.