DE

Afrique de l'Ouest
L'islamisme gagne du terrain en Afrique de l'Ouest : pour la première fois, même les États stables sont menacés

Une publication d'Alexandra Heldt dans le Tagesspiegel
Un homme porte un tapis dans  la Grande Mosquée de Touba, au Sénégal.

Un homme porte un tapis dans la Grande Mosquée de Touba, au Sénégal.

© picture alliance / ASSOCIATED PRESS | Jon Orbach

Depuis le retrait des missions internationales de la région du Sahel, l'attention portée à cette dernière a également diminué. L'Occident a perdu la main.

Les groupes djihadistes dominent désormais de plus en plus la situation dans les Etats enclavés, du Tchad aux trois Etats réunis au sein de l'Alliance du Sahel (AES), le Mali, le Niger et le Burkina Faso. 

Les pays côtiers d'Afrique de l'Ouest comme le Sénégal, le Togo, le Bénin et la Côte d'Ivoire, des États démocratiques et relativement stables, sont également de plus en plus menacés. Ils tentent désespérément de se défendre contre l'instabilité. Dans son propre intérêt, l'Occident devrait y regarder de plus près et chercher des alliés.

Vide de pouvoir vite comblé

La région du Sahel - berceau de l'humanité, patrie du légendaire Mansa Musa, qui a acquis une immense richesse au 14e siècle grâce au commerce de l'or - est aujourd'hui une poudrière. L'ancien paysage culturel, imprégné de religion, de philosophie et de science, sombre dans le chaos. La terreur, l'islamisme, les coups d'État, la faim et les déplacements de population marquent la région.

La situation n'est pas nouvelle. Mais elle devient de plus en plus menaçante. Avec le départ des missions internationales - troupes de l'UE, forces de maintien de la paix de l'ONU, aide américaine - de dangereux vides de pouvoir sont apparus. Ceux-ci ont rapidement été occupés par des acteurs extérieurs.

Aujourd’hui au Mali, c'est l'Afrikakorps russe qui opère (des troupes Wagner rebaptisées, qui dépendent désormais du Ministère de la Défense russe). La junte militaire malienne compte sur leur force de frappe militaire contre la terreur islamiste qui ne cesse de s'étendre sur le continent depuis l'effondrement de la Libye en 2011.

Mais les mercenaires ne servent pas uniquement des intérêts militaires : Ils s'assurent leur solde dans les mines d'or et procurent à la Russie une influence géopolitique jusque dans les profondeurs du continent.

Les mercenaires ne remplacent pas un ordre stable. Les attaques contre les bases militaires sont de plus en plus fréquentes, récemment aussi avec des drones. Des centaines de civils, de soldats et de combattants meurent, l'infrastructure s'effondre. Les écoles ferment, les filles perdent l'accès à l'éducation, les hommes sont enrôlés de force.

Suppression de l'aide internationale

La population civile se retrouve prise entre deux feux. Les villages se vident, les bases de vie s'effondrent. Pour beaucoup, il ne reste que la fuite vers des camps surpeuplés ou vers la côte, ou en direction de l'Europe.

Avec la suppression de l'aide internationale, l'approvisionnement humanitaire risque en outre de s'effondrer. Certes, des États comme le Sénégal ou le Bénin se montrent sporadiquement prêts à accueillir les réfugiés, mais les infrastructures quasi inexistantes, les limites économiques et la peur du terrorisme entraînent un rejet croissant.

Les groupes nomades comme les Peuls subissent une pression supplémentaire. En tant qu'éleveurs mobiles, ils sont souvent soupçonnés de sympathiser avec les islamistes, une affirmation qui conduit régulièrement à des épurations ethniques.

Zone de repli pour les groupes terroristes

Outre les États du Sahel, les États côtiers sont désormais de plus en plus menacés, tant sur le plan militaire qu'économique. Les régions frontalières reculées et difficilement contrôlables des États côtiers comme la Mauritanie, le Sénégal jusqu'à la Guinée offrent une zone de repli idéale pour les organisations terroristes comme le « Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans » (JNIM).

Selon une étude récente de l'Institut Timbuktu basé à Dakar, ils se concentrent depuis peu sur l'infiltration du Sénégal et de la Mauritanie à partir du sud du Mali.

La population vivant dans la région frontalière du Sénégal est touchée par la pauvreté et la discrimination de certains groupes de population. Selon le rapport, ces derniers sont sensibles aux messages radicaux déguisés en « théologie de la libération », qui dénoncent les inégalités plus fortement que l'islam traditionnel.

De plus, dans ces régions où les possibilités de revenus sont faibles, les groupes terroristes offrent une certaine sécurité matérielle, surtout aux jeunes qui se sentent délaissés par leurs propres gouvernements.

La mosaïque ethnique et religieuse du Sénégal

L'extrémisme religieux et le salafisme propagés par les terroristes menacent ainsi la paix sociale qui fonctionne dans un pays comme le Sénégal.

Jusqu'à présent, c'est une doctrine modérée de l'islam et des confréries soufies qui y prédominent et qui assurent la stabilité politique du pays.

On parle désormais d'une infiltration croissante des mosquées, dans lesquelles des prédicateurs souvent étrangers propagent la radicalisation et l'extrémisme violent. La cohabitation des nombreux groupes ethniques et religieux est ainsi menacée.

L'Occident devrait chercher des partenaires

L'Occident ne peut pas rester les bras croisés face à cette évolution. En 2024, la ministre des Affaires étrangères de l’Allemagne, Annalena Baerbock, avait raison de mettre en garde : « Partout où nous, en tant que démocraties, où nous, en tant qu'Europe, n'investissons pas, d'autres investissent, créant alors des dépendances qui, en cas de doute, seront utilisées contre nous et même contre notre intérêt en matière de sécurité ».

L'Europe devrait donc se positionner et considérer l'Afrique comme une chance. Pour cela, il faut des partenariats durables d'égal à égal plutôt qu'une politique d'intervention à court terme.

Trois piliers sont décisifs à cet égard : la coopération économique, le renforcement de la résilience sociale et les stratégies de sécurité communes.

La composante de la politique de sécurité, en particulier, a un rôle clé à jouer face à la radicalisation religieuse et à la concurrence géopolitique. L'Europe n'a pas besoin d'un nouveau « flanc sud » problématique. L'Europe a besoin de nouveaux partenaires.

 

Cet article a été publié pour la première fois le 30 juin par le Tagesspiegel.