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Relations franco-allemandes : les prémisses réunies pour un bond européen

France and Germany
© kovop58 via canva.com

Les changements de locataire à l'Élysée ou la chancellerie ont provoqué à plusieurs reprises une période de trous d'air dans la relation franco-allemande. Nouveau partenaire issu d'un autre parti, d'un autre tempérament ou une autre génération, il a fallu parfois du temps pour trouver des atomes crochus, ou à défaut un modus vivendi, entre les deux dirigeants. On peut se remettre à l'esprit le délai d'adaptation requis pour faire fonctionner le lien entre Jacques Chirac et Gerhard Schröder ou plus près de nous entre Angela Merkel et Nicolas Sarkozy puis avec François Hollande.

La succession d'Angela Merkel en 2021 s'annonce comme beaucoup plus fluide. Son successeur Olaf Scholz, vice-chancelier depuis 2018, a le bénéfice du sortant. En tant que ministre des Finances, il a pratiqué au quotidien le tandem franco-allemand pendant près de quatre ans. Il a tissé des liens étroits avec son homologue Bruno Le Maire. Le social-démocrate allemand a joué un rôle déterminant pour convaincre Angela Merkel d'abandonner plusieurs principes chers aux Allemands (rigueur budgétaire, le refus d'un endettement commun européen) afin de permettre une initiative franco-allemande significative en réponse à la crise sanitaire. Après des prémisses chaotiques, avec la fermeture des frontières, la pandémie de coronavirus a ainsi permis de resserrer les liens entre les deux principaux pays de l'Union européenne, réaffirmés par le traité d'Aix-la-Chapelle en 2019. Paris a mis de la pommade sur sa déception face à l'absence de réponse d'Angela Merkel au discours de la Sorbonne d'Emmanuel Macron.  

La continuité sera aussi de mise pour les acteurs parlementaires. La quasi-totalité des membres allemands de l'assemblée parlementaire franco-allemand ont été réélus au Bundestag le 26 septembre dernier. Cette institution, introduite par le traité d'Aix-la-Chapelle, est sortie de sa phase de rodage et peut apporter sa contribution.

Sur ce terrain de confiance, la nouvelle coalition allemande dispose de conditions idéales pour lancer de grands projets européens. Les dernières initiatives majeures de la République fédérale pour la construction européenne – et non pour réagir à des crises - remontent aux années 1990 avec la monnaie unique et l'élargissement à l'est de l'UE. La prise d'un rôle moteur de Berlin dépendra de la faculté de la coalition “feu tricolore” à innover, peut-être à sortir de sa zone de confort. Elle est attendue par Paris sur les questions financières, un point délicat pour les libéraux à la différence de ses deux autres partenaires. Les récentes déclarations de Christian Lindner, futur ministre des Finances, sur les propositions de réforme des critères de Maastricht formulées par des économistes du Mécanisme européen de stabilité ouvrent la porte à une discussion. Le contrat de coalition envoie un signal sur la garantie européenne des dépôts bancaires. Mais le défi demeure considérable, au regard de la doctrine récente du FDP et de l'ancrage au sein de la population d'un narratif voyant dans un endettement commun une manière de faire payer l'Allemagne “pour les autres”. Néanmoins, il y aurait d'autres sujets comme la défense ou la politique étrangère commune où la feuille de route de la nouvelle majorité présente des convergences avec la France. L'idée d'une véritable armée européenne, lancée par le FDP, est dans l'air du temps avec le relatif désengagement américain. La France, qui promeut plus d'intégration militaire au sein de l'UE, devra montrer si elle est prête à aller au bout de la réflexion, quitte à mettre son mouchoir sur un pan de souveraineté. Ce serait effacer l'échec de la Communauté européenne de Défense, torpillée en 1954 par le parlement français. Rallier Paris à l'idée de créer un État fédéral européen doté d'une véritable constitution semble encore plus ambitieux, au regard du “non” formulé en 2005 par les électeurs français.

À peine aux affaires, le nouveau gouvernement allemand sera jeté dans le grand bain pour une présidence française au calendrier concentré sur le premier trimestre 2022 en raison de la présidentielle. Avec la longueur des négociations de coalition, la majorité, notamment les Verts et le FDP dans l'opposition jusqu'ici, aura eu cinq semaines seulement pour préparer cet événement avec les responsables français.

La valeur ajoutée à moyen terme de cette transition fluide pour les relations franco-allemandes est toutefois largement conditionnée à une réélection d'Emmanuel Macron lors de la présidentielle prévue en avril prochain. La victoire d'une autre personnalité rebattrait la donne. Le profil des candidats de centre-gauche, l'écologiste Yannick Jadot et la socialiste Anne Hidalgo, présente des convergences avec la coalition “feu tricolore”. Il leur faudrait probablement une période de rodage avant de pouvoir exploiter toute la motricité du tandem franco-allemand. Ni M. Jadot, ni Mme Hidalgo ne sont, pour l'instant, portés par les sondages. L'accession de la candidate LR à l'Élysée compliquerait les choses en raison du coup de barre mis par Valérie Pécresse sur la souveraineté nationale. Elle défend une primauté de la Constitution de 1958 sur le droit européen, une véritable négation du projet européen et une reprise du discours de l'extrême droite. La couleuvre serait sans doute trop grosse à avaler pour un gouvernement allemand, après les passes d'armes avec la Pologne et la Hongrie sur le respect du droit européen. Sans une rectification de cette ligne pendant la campagne, le moteur franco-allemand pâtirait d'un futur chef de l'État issu de la droite républicaine.

On n'ose imaginer les conséquences alors d'une victoire de l'extrême droite, portée par des sondages flatteurs, miroirs du désenchantement d'une frange substantielle de la population française. Avec Marine Le Pen sous une présentation moins criarde ou brut de décoffrage avec Éric Zemmour, le coup d'arrêt serait net pour la coopération entre les deux principaux pays de l'UE. Et un bien mauvais présage pour les 25 autres États membres de l'UE.

Luc ANDRE, correspondant en Allemagne du journal l'Opinion