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France
En Marche contre la droite

À un an des élections présidentielles, la France est profondément divisée
French Flag
© Delray77 via Canva.com 

Ce qui s'est passé en France la semaine dernière dans le cadre des élections régionales prévues en juin ressemble presque à un psychodrame en plusieurs actes : le Premier ministre Jean Castex a annoncé le 2 mai que La République en Marche (LREM) allait retirer sa propre liste sous la houlette de la ministre d'État Sophie Cluzel pour la région PACA en faveur de la liste des Républicains sous Renaud Muselier. Dans l'esprit d'une « voix de la raison et du bon sens », cette réunion empêcherait une victoire électorale du Rassemblement national, fortement ancré dans la région, a déclaré le président régional conservateur sortant.

Les listes électorales communes au sens d'une alliance de complaisance ou le retrait d'une candidature au second tour n'ont rien de nouveau en soi dans le système politique français, qui se caractérise par le vote majoritaire. A titre d’exemple, le Parti socialiste avait retiré sa candidature au profit des conservateurs lors des dernières élections régionales en fin 2015, qui se sont déroulées peu après les attentats terroristes de Paris, afin d'empêcher une victoire du Front national. Compte tenu de la côte de popularité actuelle de Sophie Cluzel de 13% pour le premier tour des régionales, une telle démarche préventive apparaît donc comme une solution pragmatique de la part de LREM dans la lutte contre l'extrême droite, dont le candidat Thierry Mariani devance de 4 points de (31%) Renaud Muselier (27%) dans les sondages pour le premier tour. Mais ce qui était perçu comme une alliance pragmatique de convenance contre l’extrême droite, et n’était pas censé représenter un accord d’appareil national, a finalement débouché sur une crise identitaire chez les Républicains, qui s'est accompagnée de joutes oratoires, allant jusqu'à exclure Muselier du parti. Face à ce « combat de coqs parisien », la Sophie Cluzel a finalement été contrainte de se remettre en campagne. Ce qui nous ramène à la case départ.

Quelle concurrence LREM fait-elle peser sur les conservateurs?

Depuis l'élection d'Emmanuel Macron et en particulier depuis le dernier remaniement du gouvernement sous Jean Castex à l'été 2020, les Républicains sont sous pression, puisqu’ ils ont dû faire face à une saignée notable. En effet, ils ont perdu certains de leurs anciens hommes phares comme Gérald Darmanin ou Bruno le Maire au profit du parti présidentiel. En contrepartie, LREM se veut avoir ouvert une « troisième voie », loin du schéma gauche-droite. L’insécurité au sein des Républicains est tout de même pas seulement liées aux personnalités qui ont changé de camp. Beaucoup de Républicains auraient rêver d’un agenda de réforme aussi ambitieux que celui d’Emmanuel Macron, notamment en matière de politique sociale et économique. Outre la suppression de l'impôt sur la fortune, on retiendra notamment la réforme de l'assurance chômage, qui entrera en vigueur dans sa forme définitive le 1er juillet 2021 et qui rendra la reprise d'un emploi plus attrayant que les allocations chômage. Même si certains grands chantiers, comme la réforme des retraites notamment, restent ouverts et qu'une conclusion avant les prochaines élections présidentielles semble peu réaliste, les projets de réforme mis en œuvre par LREM sont considérables.

Mais ceux qui prennent Macron pour un meilleur Républicain se trompent : la vision de société d'En Marche diffère essentiellement de celle des Républicains. C’est une vision tournée vers une société ouverte et plus tolérante ce qui se manifeste par la promotion de l'égalité des genres et la communauté LGBTI, des investissements massifs réalisés dans l'éducation pour créer plus d'égalité des chances (comme l'augmentation du personnel dans les zones prioritaires) ou par les investissement dans l'éducation et la formation (comme le programme 1 jeune 1 solution). Finalement, c’est probablement la remise en question de l’ENA qui figure parmi l’une des manœuvres politiques les plus audacieuses.  

Il est donc regrettable que le débat public tourne majoritairement autour des questions d’affichage politique comme nous avons pu le voir à l’instar des régionales. Un débat plus sobre devrait être de rigueur cherchant à tirer un bilan clair et transparent, comme on peut le voir mesure par mesure sur le site d'en Marche. Or, les prochaines élections régionales sont considérées comme un test d'équilibre de pouvoir entre LREM, la droite et l’extrême droite.

La démarcation à droite comme programme habituel : Macron tente l’équilibre entre réconciliation nationale et son programme progressiste

Deux autres événements montrent à quel point la démarcation à droite est devenue un exercice régulier pour le gouvernement français : la commémoration du bicentenaire de la mort de Napoléon Bonaparte et l'opposition du gouvernement face à l'appel des généraux dans Valeurs Actuelles.

Pour ne pas céder la place de la commémoration à la droite, Emmanuel Macron a osé trouver un équilibre entre réconciliation avec le peuple et une compréhension moderne de l’histoire. L'Elysée a rappelé à plusieurs reprises que commémorer ne signifiait pas célébrer et qu’il s’agissait d’une commémoration « éclairée ». D'une part, Macron a souligné dans son discours que Napoléon a forgé l’identité de la France. Avec le Code Civil, il a posé non seulement les bases administratives du système juridique français mais aussi, dans une large mesure, du système juridique européen moderne d'aujourd'hui. D'autre part, le président français n'a pas caché les méthodes de règne autocratique de Napoléon. Ses campagnes impitoyables et ses exactions militaires impériales ont notamment préparé le terrain pour la future guerre franco-prussienne et l'inimitié héréditaire tant évoquée à l'époque, qui s'est terminée par deux guerres mondiales. Enfin, la réintroduction de l'esclavage est une autre flétrissure du souverain corse, qui aurait trahi les valeurs de la Révolution française.

La France est-elle au bord d’une guerre civile ? Rejet ferme de l'appel militaire contre l'islamisme

Le désir d'une plus grande souveraineté nationale et d'un leadership fort dans certaines parties de la société française se reflète aussi dans la publication des deux tribunes, le 21 avril et le 9 mai, par d'anciens et d’actifs généraux (prétendument). Les deux appels au gouvernement pour la « survie » de la nation française en jeu, publiés dans le journal d'extrême droite Valeurs actuelles, voient le risque de « guerre civile » face aux « banlieues abandonnées . » Selon eux, alors que la France combat l'islamisme au Mali, en Afghanistan et dans d'autres pays, elle faisait trop de « concessions » dans son propre pays. Plusieurs membres du gouvernement français ont vivement rejeté ces accusations et ont exigé que les auteurs de la deuxième tribune, publiée sous l’anonymat, s’affichent au lieu de fomenter la haine et de ternir ainsi la réputation de l'armée française dans son ensemble.  Marine le Pen, pour sa part, a soutenu les appels et affirmé qu'il fallait agir de manière urgente et rapide pour contenir le risque de guerre civile contre la terreur islamiste. Face à cette rhétorique sensationnaliste, il faut espérer que le président français et son mouvement garderont la tête froide et continueront à orienter le gouvernail vers la réforme malgré ces tentatives de perturbation de l'extrême droite.

 

Jeanette Süß est responsable des affaires européennes au bureau régional du dialogue européen de la Fondation Friedrich Naumann pour la liberté à Bruxelles.